Culture d'entreprise

Un proche m'a fait lire le discours d'adieux écrit par un de ses collègues à l'occasion de son départ de l'entreprise. Ce texte était d'une telle obséquiosité, écrite dans un style si ampoulé, qu'il ne m'a pas paru possible qu'il se fût agi là d'autre chose que d'hypocrisie. Mais malheureusement, ce serait trop beau pour être vrai.

Dans un style dégoulinant d'émotion sirupeuse et avec un vocabulaire où revenaient dans chaque phrase des mots aussi creux que "dynamisme, motivation et challenge" (un angicisme, évidemment), vides de sens à force d'être employés partout dans notre société, le nouveau partant évoquait son passage dans l'entreprise comme il aurait fait le récit de son histoire d'amour avec sa promise. C'était un texte écrit par une personne qui n'avait aucun autre horizon dans la vie que le morne quotidien de son travail, le texte de quelqu'un dont l'entreprise était la famille, la religion et la patrie, le texte d'un esclave amoureux de sa servitude, de l'homme nouveau matérialiste que notre société libéro-totalitaire veut à tout prix façonner, mais pis que tout, le texte d'un adulte qui avait totalement tué la part d'enfance en lui, et avec celle-ci sa faculté de rêver, de s'émerveiller, d'imaginer, de concevoir un idéal, d'élever son esprit au-dessus du monde matériel, et tout simplement de penser; bref, le texte d'un être entièrement formaté et dépouillé de tout idéal, engrenage parfait dans une machine bien huilée...

Le monde de l'entreprise est le monde du cynisme, du renoncement à tout ce qui ne peut s'obtenir dans le court terme -autrement dit du consumérisme, attitude irresponsable par excellence. Un enfant est certes irresponsable par nature, mais je crois que les penseurs les plus chevronnés sont précisément ceux qui ont encore une part d'enfance, c'est à dire une part de rêve et d'indépendance en eux, car comme chacun sait c'est de l'indépendance de l'esprit que naît la pensée. Notre faculté de penser un autre monde, et même tout simplement de souhaiter un autre monde que celui, à vomir, qui nos entoure, nous vient de ce don qu'enfants nous avions dans l'art de superposer l'imaginaire au réel, et qui à mon avis est indispensable pour être capable ensuite de manier des concepts abstraits et s'élever au-dessus de la masse. Ceci est vrai même pour nous, royalistes, et je dirais même surtout pour nous. Car dans le fond, même si nous dissertons de concepts ardus, même si nous nous basons sur des lectures aussi difficiles que Jean Bodin, même si nous sommes capables de prouver que contrairement à ce que prétendent nos caricaturistes le royalisme est bien autre chose qu'un fantasme sur le temps des châteaux-forts, que sommes-nous, au fond, sinon d'anciens enfants -mais des enfants toujours vivants au fond de nous- qui un jour se sont arrêtés, émerveillés, devant des châteaux, des récits de chevalerie, des prouesses d'anciens Rois ou des symboles fleurdelysés? Cette attirance enfantine pour l'époque des Rois est une des choses que la République a le plus de mal à tuer en nous, et c'est peut-être bien grâce à elle que chaque républicain est un royaliste en puissance.

Une bonne raison, en tout cas, de refuser les valeurs frelatées de l'entreprise lorsqu'on est royaliste. Voilà, c'était on petit délire dominical...

Autant je n'ai rien contre les gens qui ont envie d'être professionnels, de s'investir dans leur entreprise, autant quand l'esprit d'entreprise que vous évoquez est poussé à la caricature et surtout quand il est l'ultime horizon d'un individu cela tourne au pathétique (d'ailleurs le ton hypocrite évoqué m'a rappelé l'ambiance des plateaux de télévision, où tout le monde s'adore bien sûr). En ce qui me concerne en tout cas, je n'ai jamais été attiré par ces idées de "famille professionnelle", ni par le challenge comme nerf de la vie - allons, la compétition pour parler français ! Il faut dire que la société administrative et codifiée à l'excès - quelle paperasse pour le moindre petit acte ! - me répugne déjà à l'excès. Le monde de l'argent, de la performance, de la tracasserie administrative, tout ça forme un sacré numéro il faut bien l'avouer, quand l'homo economicus se double d'une machine.

Sur le rêve je suis bien d'accord avec vous, je pourrais même me sentir particulièrement concerné par le passage sur les châteaux et les chevaliers - il suffit d'aller faire un tour sur mon blogue de figurines à la rubrique Bretonnie pour s'en convaincre !

Au-delà de tout ce que vous avez très bien dit sur la nécessité de l'émerveillement pour le vrai penseur, je crois aussi qu'il faut souligner que lorsque la monarchie était vraiment rayonnante en France - c'est-à-dire jusqu'à la Révolution - il existait une conception sacrée du Roi, et même une relation d'amour entre le souverain et son peuple qui faisait directement appel à cette partie quasiment poétique de nous-mêmes. Sans doute la dure rationalité des Lumières a-t-elle contribué à obscurcir ces rapports empreints de sacralité et issus des temps mérovingiens immémoriaux, dont la quintessence était la plus perceptible lors du sacre du Roi. Il y a évidemment dans le royalisme une fidélité poétique, au sens noble, indéniable.

Comme ceci est joliment dit et complète à merveille l'idée que je lançais! Et comme cela me rend fier d'être royaliste et d'adorer autre chose qu'une idole de pierre inerte nommée Marianne! La Monarchie n'est pas seulement le régime le plus sage, c'est aussi le plus poétique, et on parle trop peu souvent de cette dimension de la Royauté, qui pourtant, j'en suis sûr, aurait le mérite de nous apporter bien des soutiens.

Ce sont les rêves d'aujourd'hui qui feront les emplois de demain.
Mais il est vrai qu'à l'heure actuelle, le monde du travail n'est pas très exhaltant !
Pour l'heure, nourrissons nos imaginations !

Je pense même que dans le monde économique de demain, on en reviendra au Beau sous toutes ses formes et que ce culte hideux de la laideur disparaîtra pour toujours.

Je doute absolument qu'un "Esprit d'entreprise" puisse exister! L'Esprit a pour traît d'être de pré-exister à toute entreprise qui n'est finalement qu'une dynamique jouée depuis des enjeux le plus souvent étrangers à toute forme de Vérité ( mais pas toujours!). Le plus consternant - dans ce que vous décrivez - réside dans la soumission du projet individuel à un ordre pré-établi et finalement étranger à toute forme de dépassement de la "modernité": Comme vous dîtes, "Petit normand", être "professionnel", c'est se "réduire"; se compresser pour devenir le "rouage" d'une mécanique... Bref, c'est se détourner de l'Etre. Le drâme qui se joue, depuis une telle représentation du "travail", c'est la mise en abandon de ce qui a force de valeur authentique: La création, l'innovation, l'autonomie d'un usage libre de la faculté imaginative. Par là, et bien oui!... Un enfant a plus de maturité que bon nombre de "professionnels"!